Un support
génétique du glaucome a été suspecté
voilà déjà cent ans, lors de la réalisation d'arbres
généalogiques de familles de glaucomateux.
De grandes études épidémiologiques, telles que la
Beaver Dam eye study ou la Framingham eye study, avaient
déjà mis en évidence un risque plus élevé
de développer un glaucome chez des membres d'une famille où
existaient des glaucomateux. Par ailleurs, une concordance plus
élevée du risque de glaucome a été constatée
chez les jumeaux homozygotes que chez les hétérozygotes. Le
support moléculaire n'était pas accessible par les techniques
de l'époque.
Un travail européen, la Rotterdam study, a permis de chiffrer
le risque statistique d'un sujet lors de l'atteinte d'un membre de la famille
au premier degré. Le risque de présenter une pression
intra-oculaire (PIO) supérieure à 21 mm Hg a été
de 10,5 %, celui d'avoir une altération du champ visuel (CV) a
été de 4,8 %, celui d'avoir un rapport cup/disk (C/D)
supérieur à 0,7 ou une asymétrie du C/D de plus de 0,3
entre les deux yeux a été de 8,6 % et celui de
développer un glaucome a été de 14,7 %. La variation
de PIO entre homozygotes a été mesurée à 1,2
mm Hg, contre 2,3 mm Hg chez les hétérozygotes, valeur
hautement significative.
L'année
1993 marque l'entrée dans l'aire de la biologie moléculaire.
Les travaux de l'équipe de V. C. Sheffield (San Francisco,
Etats-Unis) ont montré l'existence d'un gène impliqué
dans cette pathologie, porté par le chromosome 1. Les premières
formes familiales décryptées ont été les formes
les plus caricaturales de la maladie, débutant chez des patients plus
jeunes, avec des chiffres pressionnels plus élevés. En 1997,
la même équipe a décrit (1) la protéine
impliquée : TIGR (Trabecular meshwork induced glucocorticoid
response). Ils ont mis en culture des cellules du trabéculum en
présence de dexaméthasone, entraînant l'augmentation
de l'expression de cette protéine. De la famille des
leucinezippers, elle entraîne la formation de dimères
et d'oligomères à travers le trabéculum, responsables
d'une gène à l'évacuation de l'humeur aqueuse.
Au Japon, à la même époque, R. Kubota et al. (2) ont
mis en évidence, dans les photorécepteurs, une protéine
présentant des domaines apparentés à la myosine, la
myociline (MYOC), nom retenu par la Human Genome Organisation. Cette
protéine appartient à la famille des olfactomédines.
Son rôle reste obscur. Intracellulaire et extracellulaire, elle a
été retrouvée aussi dans la papille. A PIO égale,
l'expression d'une forme mutée de cette protéine (ancienne
GLC1A) expose à un risque élevé de développer
une neuropathie optique sévère. Ainsi, en comparant des familles
à PIO élevée, les porteurs de la mutation présentent
des paramètres de sévérité aggravés (rapport
C/D, altérations du CV, patients plus fréquemment
opérés).
La seconde
phase de l'étude génétique consiste à faire des
corrélations phénotypes-génotypes pour identifier le
lien entre les différentes mutations et la sévérité
du diagnostic. Des hypertonies moins sévères peuvent exister
chez des porteurs de la mutation sans que l'on puisse expliquer la variation
d'expressivité de la maladie. Une autre localisation de MYOC pourrait
en être la cause : une atteinte pressionnelle par mutation
trabéculaire et une sévérité campimétrique
accrue par la présence de la protéine mutée dans la
papille.
SUITE |
Une autre protéine, l'optineurine (3), a pu
être mise en cause dans des formes plus classiques du glaucome. Le
dépistage génétique du glaucome est un cas de figure
exemplaire, où l'identification du gène va apporter des
perspectives : c'est une maladie insidieuse, qui entraîne un déficit
fonctionnel irréversible et pour laquelle il existe des solutions
thérapeutiques efficaces si le diagnostic est précoce.
La mise en
route de tels dépistages de routine est confrontée à
des contingences économiques. L'incidence du glaucome est estimée
à 1 %, soit environ 600 000 français, sans compter les hypertonies
oculaires simples. Or, 3 % des glaucomes (18 000) seraient liés
à une mutation de ce gène (4), soit une estimation de
180 000 tests à réaliser. Cette protéine a été
à l'origine d'un dépôt de brevet par l'équipe
qui l'a découverte en 1997. Une start-up américaine
a fait son acquisition, avec la perspective de mise sur le marché
de kits de dépistage.
Les patients
qui pourront bénéficier de tels dépistages devront
répondre à des critères stricts pour des raisons de
coût évidentes, afin de rechercher un élément
prédictif dont découlera la fréquence des contrôles
à effectuer, avec une retombée économique directe sur
le montant des frais de consultation à venir.
La loi codifie
de façon stricte l'éthique liée à la
génétique, comme la confidentialité des résultats.
La mise en place de réseaux entre ophtalmologistes et
généticiens sera nécessaire.
REFERENCES
1.
Stone EM, et al. Science 1997;275:668-70.
2. Kubota R, et al. Biochem Biophys Res Commun 1998;242:396-400.
3. Rezaie T, et al. Science 2002;295:1077-9.
4. Alward WL, et al. N Engl J Med 1998;338:1022-7.
THE FRAMINGHAM EYE
STUDY
THE BEAVER DAM EYE
STUDY
THE ROTTERDAM
STUDY |